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Poésie
Alba nova - éditions A fior'di carta juillet 2008
Parution juillet 2008
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Recueil : Petites faiblesses humaines
Désir, ambigüité des sentiments, hypocrisie, cruauté...
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Journal d'une insulaire : JDI
Le quotidien d’une jeune corse, dans une famille névrotique.....
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Hors de l'espace et du temps
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La faille du Diable et compagnie
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Jeu 7 - Les illusions perdues - 154

Isis lui avait tendu l’épaisse enveloppe en prenant, bien malgré elle, un air suppliant. C’était le seul moyen qu’elle avait trouvé.

- C’- C'est quoi ? Où est le calibre ?

- C’- C'est de l’argent dit-elle précipitamment. Tu pourras en acheter un, tu m’as dit qu’il y en avait tout le temps à vendre, que ce n’était pas compliqué.

Il prit l’enveloppe et grogna. Elle ne savait pas trop comment interpréter ce grognement. Elle espérait qu’il était content.

- Bon ça ira…

- Tu tiendras ta promesse ? Tu vas m’emmener ? Tu me fais rentrer dans ta section ?

- De quoi ? Tu rêves ! Je n’ai jamais dit une chose pareille… Tu crois que fournir un calibre, ou donner une enveloppe, ça suffit pour faire partie de notre armée ? Tu crois que ça s’achète ?

Il avait l’air très en colère soudain et Isis cherchait désespérément un moyen de rattraper la situation.

- Mais pas du tout ! Je croyais… Quand on en a parlé… Tu as dit… Nous devions…

- Rien ! Je n’ai rien dit et nous ne devions rien du tout. Il n’y a pas de « nous » ok ? Si je devais faire entrer au Front toutes les filles avec lesquelles je couche !

Et il se mit à rire légèrement, tandis qu’Isis se sentait glacée jusqu’au cœur…

- Mais…

- Allez vas-y dis-le ! ricana-t-il. Il prit une voix de fausset comme pour imiter Isis : mais nous, c’est pas pareil, il y a autre chose entre nous, c’est beaucoup plus fort !

Et il éclata franchement de rire cette fois, sans se laisser émouvoir par les larmes qui commençaient à perler, au ras des cils de la jeune fille.

- Vous êtes toutes les mêmes ! Vous voulez des mecs du Front, ça vous excite, bien machos, bien virils, et quand vous les avez, vous pleurez ! Ne t’inquiète pas, ton argent ira à la lutte et c’est beaucoup mieux que ta présence physique : que veux-tu qu’on fasse d’une femme ? Tu sais démonter et remonter une arme en moins d’une minute ? Tu es capable de marcher de nuit dans la montagne, pendant plusieurs heures, sans lune et sans lampe ? Tu es capable de tirer sur les flics s’ils débarquent au milieu d’une action ? Laisse tomber. Que chacun reste à sa place.

Les larmes d’Isis se tarirent instantanément. Elles se figèrent presque sur ses joues. Ses yeux étincelèrent de colère. Son intuition de sorcière venait de buter sur quelque chose d’énorme… Qui lui était resté inaccessible jusqu’à présent pour différentes raisons… Et là, c’était comme une montagne, évident, sous ses yeux. Des actions, mon œil ! Il s’était vanté. Depuis le début, lui et l’autre, ils se servaient du Front pour faire les beaux, pour se donner une image, pour lever des filles… Comme elles avaient été naïves ! Pour une fois, elle n’avait rien à envier à Madeleine… Il allait repartir dans une nouvelle tirade mais elle le coupa dans son élan :

- J’ai quelque chose à te dire !

Il se tut, impressionné malgré lui par le ton de sa voix et par ce qu’elle dégageait. Elle aurait pu lui dire que oui, elle savait démonter et remonter une arme. Que oui, elle était largement capable de marcher, sûrement plus longtemps que lui, que l’obscurité de la montagne lui était familière et que les ombres et les frôlements en étaient ses alliés. Et que ce n’était pas par hasard si elle avait passé six mois en maison de correction à Marseille. Mais il avait montré son vrai visage. Elle ne voulait pas faire équipe avec un tocard pareil ! Elle était écœurée. Il attendait qu’elle parle, l’air goguenard, prêt à lui rabattre son caquet une fois de plus. Alors elle parla. Trois mots. Bien détachés.

- Je-suis-enceinte.

Et profitant de son hoquet de surprise, du temps qu’il mettait à enregistrer une information aussi déstabilisante, elle cueillit sur ses lèvres un petit baiser d’adieu, un effleurement sucré, pour ne garder de lui qu’un goût et un parfum, et oublier tout le reste. Sans un mot de plus, les yeux à nouveau secs – pour le moment – elle tourna les talons et le laissa derrière elle. Définitivement. Mais Monsieur Hasard n’en avait pas fini avec elle. Là, à une vingtaine de mètres d’eux tout au plus, une silhouette figée par l’incrédulité et la déception. Même de là, Isis déchiffrait sur le visage de Madeleine l’horreur et le mépris.

Non. Non. Non. Ce n’est pas juste. Pas là. Pas maintenant. Pas Madeleine. Elle allait lui expliquer. Il fallait qu’elle sache de toute façon, ce que valait son fameux héros de la lutte de libération nationale ! Cela n’avait plus d’importance maintenant… L’un ou l’autre… L’une ou l’autre… Mais le plus terrible, c’est que toutes les explications du monde tenaient en une seule phrase : son héros avait mis sa meilleure amie enceinte. Quoi d’autre ? Isis baissa les yeux et se dirigea vers Madeleine en réfléchissant aux mots qu’elle prononcerait. Mais quand elle releva la tête, Madeleine n’était plus là. Le vent s’était levé et Isis se sentit sombrer dans le néant. Elle avait tout perdu en l’espace de quelques minutes.

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