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Poésie
Alba nova - éditions A fior'di carta juillet 2008
Parution juillet 2008
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Nouvelles et fragments
Recueil : Petites faiblesses humaines
Désir, ambigüité des sentiments, hypocrisie, cruauté...
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Premier prix du festival Escales hivernales de Lille
Fragments

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Journal d'une insulaire : JDI
Le quotidien d’une jeune corse, dans une famille névrotique.....
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Le journal du roman

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Hors de l'espace et du temps
Un lundi sur deux, pour sortir ensemble des sentiers battus...
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La faille du Diable et compagnie
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Jeu 6 - Les secrets - 121

Comme à chaque fois, le repas était tendu. Les piques ne cessaient de fuser entre sa mère et Bijou, son grand-père commençait à être sérieusement agacé et son père était de plus en plus sombre. Madeleine se demandait quel plaisir ils pouvaient bien trouver à ce genre d’expérience, tous autant qu’ils étaient, puisqu’ils en redemandaient. Elle ne voyait pas l’intérêt d’un dîner de famille dans ces conditions. Alors que c’était si agréable lorsqu’elle était seule avec son grand-père ou avec sa tante. Cette ambiance plombée lui donnait la nausée. Elle essaya de penser à Raphaël, dont la lumière intérieure, le rayonnement et la douceur la rendaient immédiatement plus légère, mais eut beaucoup de mal à l’évoquer. Sans doute l’atmosphère était-elle déjà trop négative pour que même son image se manifeste. La présence de Raphaël ne pouvait s’accommoder d’agressivité, de peur ou de chagrin. « Ce n’est pas ma place disait-il. Je suis là où la joie demeure, où les couleurs explosent, où l’amour règne ». Et ils se souriaient. Madeleine était si heureuse en sa présence qu’elle doutait parfois de sa réalité. Si c’était un rêve, elle était heureuse de rêver. Et aurait voulu ne jamais se réveiller ! Le 14 février approchait… La fête des amoureux… Justement, Bijou attaquait sa mère sous couvert de taquinerie… Madeleine ne voyait pas où sa tante voulait en venir. Pour une fois elle n’était pas de son côté. Ses parents étaient amoureux comme au premier jour, il suffisait de les voir ensemble pour s’en apercevoir. Pas besoin d’attendre la Saint-Valentin pour ça… Chose incroyable, son grand-père se mêla de la conversation. En grommelant que les fêtes commerciales aux allures d’injonction ne l’intéressaient pas. Que l’amour ne se décrétait pas.

Et Stasie, qui avait, à chaque réunion de famille, de plus en plus envie d’en découdre, avait lancé :

- Babbò, vous n’allez pas nous faire croire que vous avez aimé Stella ! Personne ne pourrait aimer une femme aussi sèche, aussi dure, aussi manipulatrice…

Bijou intervint avant que son père eut le temps de riposter :

- Stasie tu parles de toi là je suppose ?

Madeleine vit sa mère virer au cramoisi. Avant de contre attaquer.

- Et toi Bijou, avec lequel de tes amants iras-tu dîner ? À moins que tu n’en aies pas ? L’argent n’achète pas tout Dieu merci ! Il n’achète pas l’amour, il n’achète pas un foyer, il n’achète pas la fécondité !

C’était un coup bas. Après la dernière discussion qu’ils avaient eue à ce sujet et la façon dont elle s’était terminée, c’était mesquin et pas fair-play de la part de Stasie de revenir dessus. Consciente de son mode opératoire peu glorieux, elle décida d’enchaîner et de revenir à son attaque initiale, pour prouver qu’elle ne frappait pas un adversaire à terre.

- En même temps, il n’y a pas de hasard pas vrai ? il faut bien que les enfants payent les turpitudes de leurs parents ! Elle était bien placée pour le savoir et il n’y avait pas de raison que ce soit valable seulement dans sa famille à elle. Tu es punie Bijou. Pour les péchés de ta mère.

Quelqu’un essaya de l’interrompre et la tension était si forte qu’une explosion aurait pu se produire sans que Madeleine qui ne comprenait pas ce qui se passait et observait en silence, en fût étonnée outre mesure. Mais Stasie était lancée et elle haussa le volume de sa voix afin de couvrir toutes les autres :

- Ta mère était une faiseuse d’anges ! une avorteuse ! Tout le monde le sait ! Elle a vidé tant de ventres que ce n’est que justice si le tien est impossible à remplir !

Le silence retomba d’un coup. Stasie regretta ses paroles, non à cause de la souffrance extrême qui se lisait maintenant sur le visage de bijou, mais parce qu’en franchissant la limite, elle s’était isolée, marginalisée, coupée de ses soutiens habituels. Même Pepito la regardait avec horreur. Le grand-père de Madeleine se leva et malgré sa petite taille, personne n’eut envie de rire.

- Avà basta ! Sì stata accolta quì cum’è a nostra figliola è simu sempre statu à u vostru latu ! ùn vogliu ringraziamenti mà o mancu teniti megliu in casa meia. Escimi da quì per oghje, n’aghju intesu abbastanza ![1]

Madeleine était abasourdie. Sa grand-mère, celle à qui elle faisait la lecture tous les mercredis à la fin de sa vie, cette petite bonne femme sèche certes, mais qui ne payait pas de mine, une avorteuse ? Cela semblait n’avoir aucun sens, ne recouvrir aucune réalité. Et pourtant personne ne contestait à Stasie le fonds… C’était juste la forme qui leur posait problème. Le fait que le pacte de silence ait été rompu. Et la peur des conséquences. Le silence, c’est comme un barrage. Quand il craque, c’est tout d’un coup. On ne peut pas rompre un peu le silence. Un tout petit peu rompre le silence. Non. Soit on le respecte, soit on le trahit. C’est tout l’un ou tout l’autre. Stasie se leva, les lèvres pincées, drapée dans sa dignité. Elle jeta un regard noir à Pepito avant de se détourner pour quitter la pièce. Madeleine regarda son père se lever à son tour et lui emboîter le pas. Non. Pas cette fois. Madeleine voulait rester. Avec sa tante et son grand-père. Tant pis. Il y aurait sans doute des représailles. Pour Stasie, cela signifierait que Madeleine s’était désolidarisée. Soit. Madeleine ne cautionnait pas cela. Et Madeleine n’était pas d’accord avec sa mère. D’abord oui, le hasard existait. Et ensuite, il était hors de question que les enfants soient punis pour les erreurs des parents. Et enfin, elle ne supportait pas de voir Bijou malheureuse. Madeleine ne bougea pas.



[1] Ça suffit maintenant ! Tu as été accueillie ici comme notre propre fille et nous avons toujours été à vos côtés. Je ne veux aucun remerciement, mais au moins, tiens-toi mieux dans ma propre maison. Sors-moi de là pour aujourd’hui j’en ai assez entendu !

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