Madeleine se tut. Le cahier ouvert entre ses mains, elle leva les yeux sur sa mère, remplie d’attente. Mais son sourire n’eut pas le temps de s’épanouir et le silence qui s’était refermé sur ses derniers mots la prenait à la gorge. Tout dans le visage de sa mère indiquait la rage contenue, une physionomie que Madeleine connaissait par cœur, ainsi que l’enchaînement prévisible qui suivait, exactement comme parfois, juste à la couleur des nuages, à une atmosphère qui frémit, à on ne savait quoi d’électricité en plus dans l’air, on pouvait prédire que l’orage n’était pas loin.
« Qu’est ce que j’ai - encore - fait ? Se demanda Madeleine tout en sentant poindre au bas de son échine l’onde de panique. Mais elle n’avait rien fait. Elle finissait juste de lire à sa mère les quelques pages qu’elle venait d’écrire, un début de nouvelle qu’elle adorait, et ce moment de partage était important pour elle. En l’écrivant, elle avait senti les picotements, qui signifiaient que le texte fonctionnait, qu’elle tenait quelque chose, que son fil pouvait se dérouler sans nœud jusqu’à son terme. Dans ces moments-là, elle se sentait comme un enquêteur juste avant que les indices mis bout à bout ne s’éclairent soudain, comme un chien sur une piste, comme un amant lèvres avancées, prêt à cueillir son premier baiser. Ces sensations étaient de plus en plus présentes ces derniers temps, et elle écrivait plus souvent de la fiction, des fragments, des débuts de nouvelle, que dans son journal désormais. Ariane Carson l’avait annoncé… Oui ce début de texte était plein de promesses et une promesse, c’était presque mieux que sa réalisation, surtout quand aller en chercher l’aboutissement ne dépendait que de soi… Mais le silence glacé de sa mère faisait comme un lasso et la promesse entravée dégringolait sur elle-même comme un culbuto ridicule…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire